Article : Le caporal Joseph Ranaivo par Bernard Moziman – page 3

Joseph Ranaivo retrouve son père en France

En avril 1916, Joseph Ranaivo eut la joie de retrouver son père de séjour en France pour une quinzaine de jours :

« En avril dernier, il [Joseph Ranaivo] eut une grande joie. Son père, le Dr Ranaivo passa en France une quinzaine de jours. Mobilisé comme aide-major, il avait été chargé de recruter et d’examiner au point de vue médical quelques centaines d’artisans indigènes, puis de les accompagner à Marseille, d’où ils furent répartis entre divers ateliers. De Marseille il vint à Paris. Son fils et son futur gendre [Guy Parson] obtinrent pour cette occasion une permission. Ceux qui les ont vus tous les trois se rappellent la joie touchante du père retrouvant sous l’uniforme français ses deux braves enfants. » (Journal des Missions Évangéliques, 1916.)

            Le beau-frère de Joseph Ranaivo, Guy Parson

            Évoquons ici le futur beau-frère de Joseph Ranaivo, Guy Parson, alors fiancé avec Aimée Ranaivo. Il part au front comme médecin auxiliaire. Sa correspondance brosse les conditions de vie à l’arrière et au front ; et l’on pourra imaginer celles vécues par Joseph Ranaivo et d’autres soldats malgaches. Par ailleurs, Guy Parson resta en liaison avec Joseph Ranaivo jusqu’à la disparition de ce dernier.

            Fin 1915, Guy Parson est à l’hôpital militaire de Versailles où il sera nommé médecin auxiliaire. Ensuite il décrit l’hôpital de Versailles et son éminent personnel avec lequel il se perfectionne avant de partir pour le front pour lequel il a fait une demande d’engagement.

            « Affecté dans la 24e section, me voici depuis mardi à l’Hôpital, dans un service. Le médecin traitant, le docteur Verdier, est un charmant homme, je dirai presque un papa.Ma nomination au grade de médecin auxiliaire va arriver incessamment. Je suis admis à l’Hôpital malgré ma situation de 2e classe actuelle, absolument comme les médecins auxiliaires nommés… Je pourrais être appelé, une fois nommé, à servir dans une autre formation sanitaire, mais cela ne m’effraye point.

Je me suis engagé pour faire mon devoir et serai toujours prêt à accepter sans aucune hésitation tout ce qu’on me demanderait et ce qui dépendrait de moi. C’est le moment ou jamais. » (27 novembre 1915.)

 Début décembre, il obtient sa nomination et attend une suite à sa demande d’engagement :

« Par ordre ministériel et sur la proposition du Directeur du Service de santé de la Région Sud, j’ai été nommé médecin auxiliaire depuis le 2 décembre. Je n’ai pas attendu longtemps heureusement et cela a été fait sitôt mes pièces présentées. Mon service actuel me plait beaucoup. Car tout en soignant nos malades et blessés, je trouve une occasion de me perfectionner d’avantage.

Le Dr Verdier, un ancien élève du regretté Professeur Dieulajoy, qui est chef de service, m’estime beaucoup. D’autre part je vais de temps en temps faire de grandes opérations dans le service de Mr le Professeur Marion, chirurgien en chef de l’Hôpital de Versailles.L’Hôpital de Versailles possède de véritables maîtres comme personnel et dispose plus de 700 lits. Il y a toutes les spécialités. Mis à part l’art dentaire, c’est encore la médecine qui m’intéresse le plus ou plutôt est ce que je trouve la plus intéressante. » (12 décembre 1915.)

Au mois de mars 1916, sa demande d’engagement a été positive puisque :

            « Nous voici depuis quelques jours dans un petit village perdu au milieu d’une  plaine immense. Nous jouissons d’une bonne eau et du grand air. Il fait depuis notre arrivée un temps vraiment splendide si bien qu’on se croirait être déjà au printemps. Les projectiles des boches ne nous atteignent pas encore quoique le cri formidable de ces grosses pièces se fait entendre de temps en temps.

            Je me suis mis à faire du cheval ces jours-ci, étant actuellement dans l’artillerie légère et cela m’amuse beaucoup.

            Le service médical de notre groupe est dirigé par un jeune médecin fort sympathique, le Dr Bardet, un ami  intime d’un jeune administrateur des colonies que j’ai connu à Tananarive.Nos brancardiers et infirmiers sont tous de bien braves gens et presque tous des pères de famille. » (17 mars 1916.)

            Après un court repos en bord de mer, Guy Parson se retrouve au front et en première ligne. Il décrit ce qu’il voit et ressent :

            « Nous sommes en première ligne en tant qu’artillerie, le secteur compte parmi les plus terribles à l’heure présente – Bombardement infernal à toute heure absolument ininterrompu – C’est terrible, on vit des heures d’angoisse, mais malgré tout, les hommes tiennent et ma petite santé particulièrement se maintient.

            Je me suis donné volontairement pour la grande et juste cause de notre France. Je tiendrai jusqu’à la fin et resterai fidèle jusqu’à la mort s’il le faut.J’ai pleinement confiance en Dieu, ma plus grande Étoile quoiqu’il arrive. Et malgré ce que nous endurons journellement, le courage et le plus grand espoir ne nous quittent point. « Vive la France quand même ». » (29 avril 1916.)

            Face au danger et au risque de se faire tuer d’un moment à l’autre, Guy Parson garde le moral, tout en se disant qu’il est venu pour la France et en se remettant en Dieu, sa « plus grande Étoile ». Au mois de mai, il est toujours au front :

            « Toujours face à l’ennemi et sous un terrible bombardement, je vous écris ces lignes. La santé se maintient ainsi que celle de mon groupe. » (10 mai 1916).

            Face au danger, il trouve le temps de lire quelques conférences du Professeur Raoul Allier qui le réconfortent :

            « Ces derniers jours je lisais quelques unes des conférences du Professeur Raoul Allier. Elles sont très bien. J’y ai trouvé, en même temps que des consolations, des paroles vraiment réconfortantes à tous les points de vue. » (10 mai 1916.)

            Son groupe reçoit les félicitations du colonel et lui-même est cité à l’Ordre de la Brigade (Croix de guerre). (Lettre du 26 mai 1916.)

            C’est au mois d’août qu’il apprend la mort de Joseph Ranaivo, tué au front. Nous l’évoquons plus loin.

            Au mois d’octobre, Guy Parson se retrouve au front :

            « Nous voici depuis quelques jours déjà sous le feu de l’ennemi et je dirai même au plus fort de la bataille. Mais ce qu’il y a de réconfortant, c’est que l’ennemi recule.Nous avons nos alliés les Anglais comme voisins. Nous occupons un secteur nouvellement conquis, dévasté complètement où plus rien n’existe.

            La santé est toujours bonne et c’est l’essentiel.J’ai cependant un peu moins à faire ici qu’à Verdun et ce tant mieux. » (10 octobre 1916).

            Guy Parson n’est plus à Verdun comme il semble y avoir été au mois d’avril, même si sa lettre du 29 avril ne le précise pas.

            Fin octobre, il est toujours au front :

            « Nous avons un secteur extrêmement actif où nos soldats font preuve de tous les dévouements. C’est vraiment admirable, sublime dans toute l’acception du mot. Il fait un temps abominable, de la pluie presque toute la journée. Quel triste temps, de la boue jusqu’aux genoux, mais malgré cela tout marche à merveille. On avance tous les jours presque.

            Les dernières et bonnes nouvelles de Verdun ont produit ici les meilleures impressions. On s’arrachait les journaux. Quel réconfort moral pour tous ceux qui à cette heure encore font le sacrifice suprême.

            Attaché à mon groupe d’attaque, je suis heureux de constater que nos pertes sont autrement inférieures à celles que nous avons eues à Verdun, que cela continue ainsi, c’est notre désir à tous. » (31 octobre 1916).

            Guy Parson sera de retour à Madagascar à la fin du conflit puisque :

            « …nous avons le plaisir de vous annoncer que le mariage de notre fille avec Parson aura lieu dans huit jours, le 6 janvier 1920. » (Charles Ranaivo à Jean Bianquis, 31 décembre 1919.)