Une famille malgache dans la guerre

A Madagascar

Idée originale et recherches dans les archives : Bernard Moziman

Aimée Ranaivo

Aimée est une jeune fille de 18 ou 19 ans. Soeur et fiancée de soldats, elle se révèle fidèle épistolière, prenant la place de ses parents, selon elle trop épuisés ou trop occupés pour cela. 

C’est en confiance qu’elle écrit à Jean Bianquis. Selon ses propres mots, elle considère celui-ci comme un père. De même, elle n’oublie pas d’associer Mme Bianquis dans ses salutations finales. Enfin, elle se préoccupe régulièrement de la situation des fils de la famille également mobilisés. 

Ses jugements sur cette guerre, qu’elle vit à la fois comme si proche – deux personnes qu’elle aime y sont engagés –  et si lointaine – elle n’est encore jamais allée en France – , trahissent un mélange surprenant de naïveté et de pénétration.

Quand je lis les journaux, il me semble que le monde est en train de se renverser, et pour ne plus jamais en revenir.

Veuillez croire que notre coeur est bien chez vous, dans cette France, Mère Patrie que nous adorons en commun.

Elle confie les sentiments nouveaux qui la troublent : 

C’est si horrible d’apprendre les atrocités que font les Allemands, et c’est énervant de n’y rien pouvoir!
On est homme après tout ; moi qui n’ai jamais connu la haine, la connais à présent, même en la repoussant.

Je regrettais de ne pas être garçon, et de ne pas aller avec ces braves défenseurs de la patrie.

Dans sa longue lettre du 16 octobre 1915 (12 pages), Aimée Ranaivo se laisse aller à raconter bien des choses : l’évolution des sentiments des Malgaches à l’égard des Allemands, la cérémonie organisée à Tananarive lors du départ des tirailleurs malgaches pour la métropole etc. 

De larges extraits en seront publiés dans le magazine protestant Foi et Vie, fin 1915. Des extraits choisis par l’éditeur pour le patriotisme dont ils témoignent à l’égard de la France, et pour l’expression de sentiments anti-allemands.

Cette publication – sans autorisation préalable de son auteur  – ne sera pas du goût de la jeune fille, ni semble-t-il de ses parents. Elle ne manque pas de le faire savoir très clairement à Bianquis un an après,  dans le post-scriptum de sa lettre du 8 octobre 1916 (ci-dessus à gauche, page 7).

Je m’aperçois que je vous ai tout à fait ouvert mon coeur. Cette lettre est pour vous et Madame Bianquis seuls, comme l’autre d’il y a longtemps a été aussi mais que vous avez donnée à tout le monde…

Charles Ranaivo

Le père de Joseph et Aimée est lui-même mobilisé comme aide-major. En tant que médecin, il est chargé de recruter et d’examiner des artisans indigènes. En 1916, il se rend en France pour accompagner des recrues. En avril, il a la possibilité de revoir son fils et son futur gendre qui ont tous les deux obtenu une permission à cette occasion