Dignité et identité photographiques
Étrangère au monde protestant j’ai choisi dans la richesse des archives photographiques du Défap un cliché apparemment inoffensif pour aborder les questions de dignité, c’est-à-dire d’identité à travers l’image. Je voudrais en effet présenter la construction et la récurrence d’images archétypales de l’Autre et de Soi, élaborées au fil de contextes divers par des personnalités missionnaires elles-mêmes changeantes et complexes.
Ces deux enfants sur une natte à Samkita (Gabon), ébauchant un geste de curiosité réciproque et photographiés sur le même plan, représentent pourtant bien plus qu’une gentille rencontre. Le cliché associe deux archétypes soigneusement mis en scène. L’un est celui du « païen le plus incontestable, celui qui hante notre imagination, le païen noir et nu de l’Afrique. » (Anonyme, « Le droit des païens »Almanach des Missions, 1923) avec ses amulettes, l’autre celui du missionnaire en puissance, habillé de clair et chapeauté. La photographie marque un déterminisme culturel sinon racial, que seule la Mission a vocation et pouvoir de transformer.
Cette photographie illustre ce que je voudrais présenter ici, la construction et la récurrence d’images archétypales de l’Autre et de Soi, élaborées au fil de contextes divers par des personnalités missionnaires elles-mêmes changeantes et complexes.
Si les rencontres furent parfois des confrontations directes, elles furent également marquées par des stratégies d’évitement ou d’absence à l’Autre.
Assises l’une près de l’autre, Mofumahali, reine entourée de ses suivantes, et la dame missionnaire se côtoient sans se voir dans une proximité physique qui accentue leur distance culturelle. De la photographie se dégage un sentiment de dignités parallèles, mais également de contrainte et d’inégalité. Le statut royal de l’un des protagonistes a autorisé un face à face entre deux mondes longtemps définis par leur opposition : civilisation / primitivité, christianisme / paganisme, passivité / présence active. Le cliché expose autant l’influence de la Mission qu’un rapport de force : présentée seule parmi les femmes noires, archétype à son tour du dévouement missionnaire, la femme blanche n’apparaît qu’à travers un autre regard blanc. Le missionnaire offre ainsi des représentations de l’Autre face à Soi qui vont du portrait magnifié à la caricature la plus dégradante.
Les vêtements de la reine et de ses suivantes attestent d’un contact prolongé avec les Européens, vraisemblablement au travers de la mission. On ne trouve trace d‘aucun emprunt dans la digne raideur de la missionnaire.
Thomas Arbousset et Eugène Casalis qui avaient appris l’arabe et étudié avec Champollion, cheminèrent pendant un mois avec le roi Moshesh dans les montagnes du Lesotho de 1840, partageant conditions de vie presque semblables et fréquentes conversations philosophiques. Une des voies d‘évangélisation s’attacha particulièrement aux chefs.
Dans cette perspective, aucune photographie n’est neutre. Les clichés répondent à des objectifs d’information – ce qui s’appelait alors la propagande-, dépassant leurs valeurs discursives ou subjectives premières. Mis en scène, éventuellement retouchés, ils deviennent des symboles d’époques et d’attitudes.
Transformation du portrait d‘un jeune chrétien bamoun, Daniel Panjuene, en symbole de l‘Afrique christianisée et libérée. l‘instrumentalisation de l‘image de l‘Autre va de pair avec sa dépersonnalisation progressive, et des retouches signifiantes telles que l‘accentuation du sourire “banania“ .