François Escande, pasteur en Rhodésie, future Zambie, se souvient…
Kenneth Kaunda à Kalabo
Nous arrivions à la fin de l’époque de transition qui dura presque deux ans, de décembre 1962 à octobre 1964, pendant laquelle le pays de Rhodésie du Nord passa du statut de Protectorat du Royaume Uni de G.B. et Irlande à celui de République de Zambie. Le gouvernement britannique avait extrait de leur camp de relégation les leaders africains de la lutte pour l’indépendance dont Kenneth Kaunda. Après des élections qui eurent lieu le 31 octobre 1962, K. Kaunda avait été nommé, en décembre, premier ministre d’un gouvernement de transition avant de devenir le premier président, (et le seul jusqu’à maintenant), de la République qui prendra le nom de Zambie le 24 octobre 1964.

Kaunda visitait donc le pays une semaine et demi avant cet instant historique et y adressait ses messages de l’époque. Lui aussi « calmait le jeu », le jeu de la violence, du désordre ou de la vengeance. Je me souviendrai toujours de cette après-midi à la petite ville de Kalabo, centre administratif du district du même nom ; j’y étais venu de Lukona participer à une campagne d’évangélisation aux cotés du pasteur de ce consistoire M. Lushwelangi Silema. Depuis le matin, la foule grossissait sans cesse, circulait calmement avec de bruyantes exclamations de joie et de reconnaissances mutuelles, salutations et rires sonores (qu’on entend bien rarement en France). Venus de tous les villages environnants, certains partis peut-être depuis un ou deux jours de marche, les gens s’aggloméraient sur un espace vague, en plein soleil, dans la poussière.
La voix chaleureuse, mais ferme, de K. Kaunda s’élève et c’est le silence absolu, attentif, de tous ces gens, pauvres pour la plupart, certains ayant même faim, des jeunes gens excités, les cadres administratifs et les divers fonctionnaires, dont les instituteurs, en cravate…discours en Anglais, traduit phrase par phrase en Lozi.
Kaunda invente alors une sorte de parabole…:
« … Quand je me promène dans mon jardin, à Lusaka, je vois des fleurs ; j’admire leurs formes différentes, leurs couleurs, leurs espèces si variées. Chacune d’elles a sa taille propre, son parfum particulier, et je me dis : « Dieu les a ainsi créées, toutes différentes, pour le plaisir de nos yeux et de nos nez, pour la beauté de la terre et pour Sa gloire ! » De même, quand j’entends les oiseaux, je reste émerveillé par le nombre de leurs espèces, de leurs cris, sifflements et appels. Et alors je me réjouis qu’il n’y ait pas sur terre une seule espèce d’oiseau, rien que des chouettes par exemple ! ( la chouette est un oiseau de mauvaise augure pour les malozi !) , ou bien qu’une seule fleur, toujours la même partout et toujours, que ce serait triste et monotone ! Eh bien, nous voici ici, les humains, sur la terre et dans ce pays : non seulement il y a des hommes et des femmes et des enfants, mais aussi des noirs, des blancs, des métis, des jaunes, des indiens, tous différents par la couleur de peau, par la forme du visage, les yeux, les cheveux. Nous voici tous sur terre ensemble mélangés, pour l’emplir, la cultiver, la dominer, l’habiter dans la paix et l’harmonie et pour la joie de tous. Heureusement, nous ne sommes pas tous pareils, tous noirs ou tous blancs, tous de la même taille, tous parlant la même langue ! NON ! Différents mais ensemble nous vivons, ensemble nous travaillons, ensemble nous allons bâtir une Zambie unie, une Nation unie ! One Zambia ! One Nation ! Kwacha…Ngwee ! Et la foule silencieuse reprend alors avec plus de force le slogan, cette exclamation de ralliement de la lutte pour l’indépendance qu’on entendait depuis quelques années : Kwacha…Ngwee ! Oui, c’est l’aube d’un jour nouveau ! »
Quelques jours après, le 24 octobre 1964, à 0h, l’indépendance de la Zambie était proclamée sans heurts significatifs et sans aucune manifestation dans la région reculée où nous étions, je ne me souviens même pas si on l’a fêtée, même sobrement, à Lukona.
Tant qu’il y aura des femmes dans l’Église…
Le premier président élu de l’Eglise Unie de Zambie sera pour quelques années le pasteur anglais Colin Morris qui s’était distingué dans les années 55 à 60 par son refus énergique et public d’une Eglise « pour blancs seulement », comme en Afrique du Sud ; à peine nommé pasteur d’une paroisse « blanche » de la région minière du Copper Belt, il avait placé un écriteau devant son église indiquant qu’elle était ouverte à toute personne indépendamment de la couleur de sa peau, geste provocateur et révolutionnaire dans le contexte de cette époque au sein des villes minières. Il était ainsi devenu l’ami et le confident privilégié de Kenneth Kaunda, pendant et après l’indépendance et c’est à partir de leurs discussions et entretiens que ce dernier forgea sa doctrine d’un « socialisme africain humaniste », base théorique et pratique d’une politique nouvelle.
A ce synode auquel je participais, comme les délégués se lamentaient sur le manque d’argent dans l’Eglise, sur la pauvreté des offrandes (discours bien connu aussi en France !), une imposante et digne dame africaine se leva et se mit à invectiver poliment mais en termes non voilés les pasteurs et membres laïcs masculins : « Ah, si nous, les femmes, avions vos responsabilités et vos fonctions, et bien ça ne se passerait pas comme ça ! Vous manquez de foi, vous les hommes de la Parole ; vous manquez de vérité, vous les Anciens… »
Je me suis dit : « tant qu’il y aura de telles femmes, il y aura de l’espoir pour l’Eglise ! » Je termine avec un souvenir d’un des premiers synodes de l’Eglise Unie, à Lusaka en 1966. C’est là, en particulier, que le sentiment d’appartenir à un ensemble plus vaste que le seul « Bulozi » s’est créé, l’impression que nous allions vivre le début de quelque chose d’important pour la Zambie dans son ensemble.