Les photographies missionnaires montrent une dignité de Soi souvent présentée comme l’expression d’une supériorité (spirituelle, technique, culturelle) opposable à la condition d‘un Autre subalterne, tour à tour païen ou serviteur. Sa différence est toutefois perçue comme évolutive, transformable par une conversion civilisatrice.
La perception des Autres est en conséquence ambigüe, oscillant entre fascination et indignation. L‘ennemi est essentiellement le paganisme sous toutes ses formes – dont une „mixture pagano-islamique“ –, et ses composantes : fétichisme, cannibalisme suspecté, polygamie, „achat“ des femmes et esclavages, archaïsmes et autres “ancestrolâtries“.


La paganisme a fait l’objet de descriptions détaillées et très visuelles qui ont servi à présenter les contextes, lever des financements et surtout présenter le travail accompli. Il a une fonction de mesure et de repoussoir, soulignant a contrario la dignité de la Mission et de la conversion. La crainte d‘un retour toujours possible aux „coutumes“ – terme générique qui révèle une dévaluation de la culture des Autres, malgré l’intérêt et le travail de connaissance accompli par certains missionnaires -, est constamment maintenue.
Tract d’offrande missionnaire, 1950-1951
Le paganisme trouvera une forme positivée dans l‘émergence de la notion d’Art primitif.
La désacralisation des structures pré-coloniales autorise dès lors une contemplation esthétique, comme dans la superbe série de clichés pris à Bangwa et dans la région dite bamiléké par le Dr Broussous entre 1945 et 1959.
Plus que tout autre exemple, le recul de la polygamie „cette institution abominable et contre-nature, chef d‘oeuvre de l‘égotisme (qui) est certainement l’apothéose du paganisme“ (Maurice Leenhardt, Journal des Missions Evangéliques, 1923), souligne l‘importance d‘un modèle chrétien.
Les clichés insistent sur l’émergence de la notion de couple – corollaire de celle de l‘individu –, et en conséquence d‘un nouveau modèle familiale reproduisant celui du missionnaire.



Fils de prince, membre fondateur de l‘Eglise bamoun, Mosé Yeyap fut presque contraint par la Mission de Bâle à épouser une femme d’origine serve, Foebe Njina, lors des premiers mariages chrétiens en 1909. Le couple se sépara, mais qu’il ait été possible illustre la transformation sociale majeure impliquée par la conversion. Il eut été inimaginable avant 1906.


Les attitudes des jeunes couples sont tout à fait nouvelles et ne correspondent pas aux relations habituelles entre époux. La pose est d’ailleurs contrainte.


A quelques exceptions près, le métissage demeura longtemps scandaleux. Les enfants métis furent souvent récupérés par la mission et les clichés demeurent rarissimes. Leur situation leur conférait une dignité paradoxale, avec pour les filles, le statut d‘auxiliaires préférentielles de la Mission :
Else, une jeune mulâtresse, grande et belle jeune fille, très claire de peau, avec des cheveux noirs crépus. […] Très simple et pas du tout orgueilleuse. Elle a toujours vécu à la Mission, à l‘internat des filles, et se considère tout à fait comme une indigène. Les indigènes l‘aiment beaucoup, et elle a tout de même un certain prestige de blanche. Elle est aussi souple, un peu l‘indolence d‘une créole.“ (Josette Debarge, Foumban, 8 janvier 1927, „Cameroun : au dispensaire“, Journal des Missions Evangéliques, 1927)

