La photographie d’ouverture souligne la récurrence du thème de l’enfance dans les clichés et journaux missionnaires, atteignant la moitié des clichés pour certains pays. Jouant sur l’innocence et la réaffirmation d‘une commune humanité, sentimental à souhait, il permet de décrire les horreurs du paganisme comme les progrès de l’œuvre, usant constamment d‘une comparaison virtuelle négative (manque d’hygiène / soins, nudité / vêtements, travail des enfants et des femmes / éducation et scolarisation, souci des orphelins / abandon) que l’on retrouve également dans de nombreux textes.
Ces petits enfants [païens] bien souvent, sont très malheureux parce qu’ils n’entendent et ne voient que des mauvaises choses. Leur père est parfois bien méchant, plein de colère et de ruse et leur mère les laisse souvent la nuit, à la maison, et s’en va danser au clair de lune, sous les cocotiers et les palmiers avec les gens du village. Quand elle rentre le matin, à l’aube, elle est bien fatiguée (…). Personne n’est là pour les laver, les peigner (…) personne pour leur raconter une belle histoire de Jésus. (Christol, Le Petit messager, 1921)
Mis ainsi côte à côte, les clichés de la famille missionnaire et de la femme portant deux bébés dénotent plus qu’une différence de portage ou de traitement : la croyance en la supériorité de la civilisation occidentale.
Le cliché du couple de missionnaires est particulièrement frappant : la poussette y est symbole de modernité et de technicité, d’une dignité de Soi fondée sur une distance par rapport à l’Autre : L’enfant-roi, symbole de l’individualisme, y trône de blanc vêtu, un casque colonial glissé dans le manche. La poussette est surtout parfaitement inadaptée en ce lieu et on imagine bien la fonction du petit „boy“ qui se tient un pas en arrière.
Dans la seconde série de photographies, une des différences les plus manifestes est la position du bébé : elle parait clairement liée au contexte de la prise de vue et au sentiment de confiance vis-à-vis du photographe, traçant la frontière entre le cliché familial et celui à vocation illustrative.