Exils et dignité

En tout étant de cause, la dignité de l’indigène est donnée par approbation du modèle missionnaire, qui rejoint partiellement le modèle colonial. Elle est également acquise par l’enseignement et le travail et l’acceptation de nouvelles règles de vie.

Une nouvelle élite „d’évolués“, cadres indigènes souvent formés dans les écoles de la Mission, constituera vite un embryon de bourgeoisie dont le principal écueil sera, pour nombre de missionnaires, „l’orgueil de se sentir au-dessus de leur race, intellectuellement et religieusement“ (Vincent, 1921)

Une femme noble d‘Ambohimalaza, près de Tananarive, devenue chrétienne et prédicateur zélé, Madagascar, s.d.
Catéchiste Bulu, contre-maître Bulu et deux jeunes filles, Oyem (Gabon), 1931
De tels clichés, frappants, illustrent mal la diversité des transformations intervenues et l‘utilisation personnelle de ces changements de statuts.

Exil et dignité

Les contacts entre missionnaires et missionnés créèrent les conditions de confrontations – à la fois rencontres et malentendus –, encadrées par une thématique de conversion nécessaire. Elles furent pour des missionnaires souvent jeunes comme pour les missionnés un espace d’identification de soi par rapport à l’autre dont les effets furent néanmoins sans égale mesure de part et d’autre. Dans les deux cas, elles peuvent cependant être analysées comme une forme d’exil symbolique, un déplacement „hors de soi“, de sa patrie et sa culture.

Les transformations des convertis / colonisés relèvent d’un exil avant tout ontologique, et en conséquence d’une métamorphose radicale du présent, transformé par l’adhésion à des valeurs exogènes et une distanciation vis-à-vis des siens.

Pagayeurs Adoumas près des sources de l‘Ogooué, payens, Gabon, s.d.

De nouvelles personnalités ont ainsi émergé, affranchies des allégeances pré-coloniales, instrumentalisant l’accès à un nouveau statut pour leur propre compte. Elles furent souvent affectées de ce „syndrome du colonisé“ décrit par Franz Fanon, fondé sur une intériorisation de préjugés notamment véhiculés par la photographie.

Mais ces confrontations ont aussi progressivement permis un changement des rapports de subordination. Des missionnaires se sont intéressés aux cultures des peuples convertis ou non, produisant témoignages et connaissances désormais fondamentales pour leur histoire. En retour les convertis, ironisant parfois sur l’opposition entre „… les hommes blancs du céleste empire et les noirs de race diable“ (tract anonyme de 1954), ont progressivement revendiqué une plus grande participation, c’est-à-dire une égalité de dignité, se servant du message biblique pour exiger l’autonomie de leur église et l’indépendance de leur pays.

A l’inverse, le chemin parcouru par la Mission est tel que les champs de mission du siècle dernier sont devenus à leur tour un „autre monde“ dont l’ignorance volontaire est également un exil, notamment d’une mémoire commune.

La citation choisie pour la 4ème de couverture du journal Mission consacré au „Devoir de mémoire“ (n°155, novembre 2005) paraît révélatrice d‘un nouveau regard réflexif qui permet dorénavant d‘interroger le passé : Missionnaires : toujours mangés ou crucifiés (Gustave Flaubert, Dictionnaire des Idées reçues, 1880)