
Les missionnaires Allégret et Teissères reviennent en France en 1891. Après s’être tous deux mariés, ils repartent avec leurs épouses vers le Congo français. Leurs lettres n’expriment alors plus la surprise et le sentiment d’éloignement de leurs premiers courriers. Ce sont leurs épouses qui, à leur tour, témoignent de ce que cette vie missionnaire apporte de difficultés liées à la distance : elles se sentent seules, loin de leurs parents et familles.
Elles doivent apprendre à vivre dans des conditions auxquelles elles ne sont pas habituées, souvent loin des centres coloniaux. Les Allégret s’installent sur la station de Talagouga, quand les Teissères prennent en charge la station de Lambaréné. Les deux femmes se fréquentent donc peu et sont confrontées à la solitude avec des époux souvent très accaparés par leur tâche missionnaire.
Les premiers mois après son arrivée à Talagouga, Suzanne Allégret souffre beaucoup de son éloignement géographique. Sa famille, sa vie à Bâle, lui manquent. Elle dit avoir conscience de l’importance de sa tâche en tant que femme de missionnaire et ne regrette pas son départ. Elle constate par contre que les problèmes de confort matériel qui lui semblaient être les plus importants avant son départ, sont finalement bien moindres que le difficile éloignement affectif.
Puis, peu à peu au fil des années, ses lettres à sa famille font de moins en moins état de ce sentiment d’éloignement et d’exil dans une région qui n’est pas la sienne. Suzanne Allégret s’investit dans l’éducation des filles de la station, elle devient mère. Après la naissance de son premier fils qui reste longtemps chétif et malade, elle souffre de ne pas être en Europe, mais ce sentiment d‘éloignement est dû à la santé fragile de son enfant. Elle regrette qu‘il ne respire pas l‘air de la montagne, qu‘il ne grandisse pas dans un climat moins humide.

Les enfants de missionnaires voyagent et vivent avec leurs parents au sein des stations. Mais vers l‘âge de 12 ans, ils reviennent en France, afin de suivre une scolarité classique. Ils sont alors pris en charge par les Comités auxiliaires de la SMEP, notamment ceux des Dames, qui viellent sur leur confort et qui organisent leur accueil dans des familles lors des vacances.
Parents et enfants souffrent de cet éloignement qui durent parfois plusieurs années. En juillet 1949, les enfants du missionnaire Matter, qui travaille au Gabon, écrivent au directeur de la SMEP afin de le supplier de faire rentrer leurs parents en France :
Nos parents nous ont annoncé qu’ils ont cédé à vos supplications de rester jusqu’au printemps 1950 sur la station de N’Djolé au Gabon.
Cette nouvelle nous a profondément déçus tous les trois qui attendions avec impatience le jour, maintenant très proche, de leur arrivée.
Roger, Charles-Marcel et Léa Matter
C’est avec joie que nous avons fait le sacrifice d’être éloignés des parents et de renoncer à la vie de famille. Déjà 8 ans pendant la guerre et maintenant de nouveau presque trois ans […].
Nous les enfants, nous nous demandons si vous avez pensé à nous en leur demandant de rester jusqu’au printemps prochain. Nos parents, un peu timides à ce point, n’ont pas osé refuser, poussés d’une part par l’attachement à la chère terre d’Afrique, d’autre part pour ne pas être désobéissants à la direction.
Mais nous les enfants, ne sommes pas d‘accord pour accepter ce prolongement.
Nous voulons le retour des parents pour fin août comme il était prévu.
C’est bien beau de servir son Maître ; moi aussi je considère cette tâche missionnaire comme la plus belle et c’est celle que j’ai choisie pour ma vie, mais il ne faut pas oublier le devoir envers les enfants…